24 nov. 2009

Un Vieil Océan

Un soir de retour, sur une voie lactée tracée dans un océan laiteux, un paquebot de nuages vogue, parmi quelques requins aux ailerons opalins et une mer de neige d'albâtre. De pâles faisceaux de lumière strient le ciel d'argent et fendent les fins cirrus de la coque du navire.

Des silhouettes semblent se mouvoir sur le pont.
Le bruit du vent dont Fûjin(1) se fait messager transporte l'écho saccadé d'une cloche dans l'infini retentissant.
Et la cohue là haut, se fait à présent.
Susanô(2), quant à lui, continue bon gré mal gré de malmener l'embarcation.

Les cheminées cessent maintenant de cracher. De leur gueules béantes anthracite, des flots de vapeur épaisse s'épuisent jusqu'à ne devenir plus qu'un mince filet de fumée ivoire.
Le Nuage bouge; et se trouble.
Voilà maintenant les prédateurs d'étain aux dents aiguisées entamant une danse rituelle, autour du paquebot. Animés d'une étrange intuition, ils se meuvent en silence.
Dans la cabine de pilotage, en spectateurs privilégiés, nul ne bouge au milieu de ce brouhaha. Tous sont résignés. Certains se signent et d'autres perdent leur regard dans le couchant d'Amaterasu(3), qui s'étirent jusqu'au lieu de sa rencontre avec la Terre, à la table de l'Horizon.

Un soir de retour, avorté par la précipitation de ses hurlantes machines de métal montées sur rails grinçants, un tableau pris fin dans l'indifférence la plus totale.
Seul Maldoror en eut probablement connu l'issue(4).

Mais, point d'inquiétude,
ce n'est qu'un nuage.


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(1)(2)(3) => divinités shintoïstes
(4) => référence au chant deuxième des Chant de Maldoror du Comte de Lautréamont